dimanche 3 juillet 2022

Decision to leave, l'amour à mort.

 


Des sensations fortes. C'est ce qu'on attend d'un film de Park Chan-wook comme de son éminent collègue et chef de file de cette génération coréenne mirobolante, Bong Joon-ho. Aucun film de Park n'est venu jusqu'à présent contredire cet axiome qu'il voulait toujours nous en mettre plein les yeux et c'est ce qu'il a réussi plus d'une fois. Ayant zappé pour ma part sa partie américaine, que ce soit les séries et son film Stoker, qui avait semblé laisser beaucoup de monde sur sa faim, j'en étais resté aux splendeurs formelles et aux volutes tortueuses de son splendide Mademoiselle, sans doute son meilleur film à ce jour.


Des coups tordus. C'est ce qui finit toujours par arriver dans les scénarios de Park, et ce qu'on redoute un peu. Qui ne s'est pas perdu dans le dénouement alambiqué de Old boy comme dans les méandres du contrat tacite fomenté entre les deux beautés de Mademoiselle ne sait pas ce que se faire balader veut dire.

S'en prendre plein la figure. Qui n'a pas exulté un jour (ou fermé les yeux selon la sensibilité de chacun) devant la violence ravageuse des grandes scènes de furie de Park ne peut pas comprendre à quel point ce cinéaste a repoussé la représentation de la douleur au cinéma au-delà de ses limites. Combien de films coréens après lui (The chaser, J'ai rencontré le diable, bien d'autres) ont cherché et parfois trouvé une surenchère à cette démente débauche d'énergie. Tarantino en trépigne encore, et à Cannes cette année, on a été heureux de voir qu'avait été choisi ce grand fou-furieux de Nicholas Winding Refn pour lui remettre son prix (il a presque sauté de joie, ce grand bêta).

Des sensations fortes, des coups tordus et de la violence il s'en trouve dans Decision to leave, mais distillés selon une posologie discrète pas très courante dans son cinéma. Peu de violence en définitive, si ce n'est une séquence dans laquelle Tang Wei se fait tabasser par un inconnu (mais la scène a l'air de cacher autre chose), la découverte de cadavres dans de sales états et cette séquence splendide de traque au-dessus des toits entre le policier et un présumé assassin dont le suicide est filmé avec... une certaine pudeur (maintenant, Park sait qu'une simple paire de ciseaux posé sur la jugulaire suffit à faire imaginer la suite...).


On ne s'en rend pas compte tout de suite, préparés que nous sommes aux pires retournements de situations et aux twists les plus improbables mais tout est déjà dans cette scène: le malfrat que le commissaire Hae-jun traque depuis le début du film (il s'agit d'une intrigue parallèle sans grande importance) a commis un meurtre par amour, et il met fin à ses jours devant lui car il ne veut pas retourner en prison. Le type était en fait un grand sentimental.

C'est Seo-rae justement qui lui souffle cette hypothèse à l'oreille: "et si l'assassin avait tué par amour ?...". Seo-rae que le commissaire suspecte d'y être pour beaucoup dans l'"accident" d'escalade de son époux, qu'elle n'aimait pas. Puis ne la suspecte plus du tout. Puis comprend tout.


Ce qui suit est tout aussi invraisemblable que dans les autres films de Park. Certes, il y a de la manipulation dans l'air mais il s'agit d'abord des stratagèmes d'un meurtre parfait, ou presque, que Seo-rae trahit en une sorte d'acte manqué savoureux (elle envoie le commissaire chez la vieille dame qui détient la preuve de sa culpabilité) et ce sera, au final, des manoeuvres insensées pour lui faire comprendre l'amour fou qu'elle lui porte.


Comme le dit Seo-rae, elle attire les hommes mauvais tout comme lui, Hae-jun, n'a d'ordinaire rien à faire de filles comme elle. Au fond, tous les films de Park sont régis par de grandes histoires d'amour. Il faut se souvenir des motivations romanesques du deus ex machina de son film le plus traumatique, Old boy. Tout comme les tergiversations paranoïaques des militaires de JSA débouchaient sur l'avènement d'une grande amitié. Park est en réalité un grand romantique.

Sur l'affiche française du film, nous pouvons voir les deux personnages menottés l'un à l'autre et s'effleurant le bout des doigts. Jamais on aura vu non plus un policier et sa suspecte partager avec tant de cérémonie un plateau de sushis dans la salle d'interrogatoire, ni ce dernier proposer une brosse à dent neuve et un tube de dentifrice avant de reprendre le travail, comme si elle était restée dormir chez lui.


Decision to leave
est surtout une succession de séquences plus splendides les unes que les autres dans laquelle se déploie tout un savoir-filmer presque irréel. Du travail d'orfèvre de ses irrésistibles scènes de surveillance où Hae-jun espionne sa suspecte préférée, s'imaginant à ses côtés, lui parlant à l'oreille alors que c'est à sa montre connectée qu'il se confie, jusqu'à l'utilisation espiègle de tous ces objets connectés, caméras et GPS, applications de traduction simultanée (Seo-rae est chinoise et croit parfois son coréen imparfait), en passant par une magnifique scène de confession sous la neige ou la reconstitution du premier meurtre, avec passé et présent montrés sur le même plan, Decision to leave marque l'acmé d'un cinéaste en pleine possession de ses moyens. Le Prix de la Mise-en-scène, c'était en effet un minimum.



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