vendredi 22 juillet 2022

As bestas, front contre front.

 



Rodrigo Sorogoyen est sans doute le seul cinéaste actuel qui sache aussi bien composer avec toutes les variantes du film noir. Que ce soit le thriller politique (El reino), le classique film policier avec tueur en série (Que dios nos perdone) ou le traumatisme vécu après un horrible faits divers (Madre), Sorogoyen sait toujours ce qu'il faut faire pour aborder son scénario: ne rien sacrifier au spectaculaire même si ses films sont émaillés de séquences choc ou de plans-séquence mémorables. Son savoir-faire réside sans conteste dans une attention portée à la cohérence de ses histoires, à son peu de réticence à ce que certaines scènes s'étirent et prennent leur temps, et à une direction d'acteur qui, ici encore, est sans doute ce qu'on peut faire de mieux.


Aussi n'est-on pas surpris de le voir aborder un sous-genre du polar moderne qui, de ces emblématiques années 70 qui avaient enfin su fixer quelques images pour montrer le vrai visage de la violence et avaient pour titres Les chiens de paille, Délivrance, La dernière maison sur la gauche, voire Easy rider ou Massacre à la tronçonneuse: culture contre nature, civilisation contre vie sauvage, homo sapiens éduqué vs son homologue meurtrier, violeur et cannibale.  

Ce cinéma-là a donné quelques épigones peu recommandables, qui iront du mauvais slasher au fond du bayou aux sinistres revenge-porns qui ont jadis fait tout le sel de nos errances dans les vidéo-clubs de quartier. As bestias se pose aux origines de ce cinéma, plus du côté de Peckinpah et de Boorman et c'est une vraie réussite, tant il propose une variation plus mesurée et moins caricaturale que ses glorieux modèles.


Olga et Antoine ont eu un jour un coup de foudre pour ce village de Galice perdu entre forêts et montagne, ont laissé tomber la France et leur condition de bons bourgeois bien installés pour tenter d'y vivre de leur exploitation de légumes bio et de la réfection de maisons abandonnées. Leurs plus proches voisins, paysans misérables et frustrés, leur vouent une haine indéfectible pour avoir refuser de signer un jour "un papier" qui leur aurait permis de toucher une manne de la part d'exploitants en éoliennes.


Tout est impeccable dans le travail de mise en place de Sorogoyen, de l'amorce d'un sentiment de menace rampante qui démarre direct par une fabuleuse scène dans le bar du village où se dessinent les tempéraments terribles des deux frangins, - l'un injurieux, menaçant et sournois, l'autre effrayant par les vides qu'on devine derrière ses regards. Une autre grande scène dans ce bistrot dégueulasse sera la clé du film tout entier, lorsque Antoine obligera la discussion et que Xan, le grand frère, lui explique les raisons de leur haine envers ces Français qui "savent tout" et ne connaissent rien aux gens parmi lesquels ils vivent.


Autant le dire tout de suite, les comédiens Luis Zahera et Diego Aneda sont époustouflants. A jeu égal avec la paire Ménochet-Fois, lui en colosse inquiet et en force jamais tranquille, elle en petit bout de femme taiseuse qui débite de sèches vérités à voix basse sans que son corps ne la trahisse. Etrange de retrouver l'ancienne Robin des Bois, ex-reine des réparties absurdes et décalées sur un corps immobile et impassible au milieu des clowneries débiles de ses partenaires, adopter le même style de jeu avec ici des paroles tranchantes et dures sur cette voix morne, avec autour d'elle cette fois le désastre et la mort. La technique d'une comédienne, parfois, tient à de drôles de choses. Quant à Ménochet, sa présence au coeur du cinéma français est là pour durer: on n'en a pas fini avec cette immense carcasse à la voix et au regard si doux, promesse de fureurs terribles comme de chaleur désarmante.


Si As bestias reprend le modèle des grands films cités plus haut, il décide de renvoyer non pas dos à dos les deux parties adverses mais de les confronter à leurs propres manques d'empathie. Savoir se mettre dans la peau de l'autre est tout ce qui manque pour infléchir l'incroyable bêtise butée des uns comme les principes idéalistes et sans doute un peu niais des autres.

Front buté contre front buté, plus explicite et meilleure métaphore du film que cette histoire de chevaux maintenus à terre à la force des bras qui ouvre le film, ici il n'y a plus que des bêtes en colère, cornes emmêlées et qui ne s'en dépêtront pas. Deux taureaux furieux.


Comparé à ses modèles du Nouvel Hollywood, sauvages et barbares, As bestas s'infléchit un peu vers une morale plus raisonnable, plus équitable. Nous vivons une époque plus politiquement correcte sans doute, mais il est bon de retrouver dans un film la tension physique, cette sensation de menace permanente et de promesse de souffrance que ces films savaient nous dispenser en nous rappelant à quelques réalités fondamentales sur l'être humain: un loup pour lui-même, tout ça... 

On attendra encore le prochain Sorogoyen avec impatience.

1 commentaire:

  1. Commentaire fort juste
    Une histoire insensé
    4 acteurs extraordinaires
    Du très bon cinéma

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