mardi 24 août 2021

Onoda, ou la patience de Dieu.


 Combien furent-ils au juste, à ne pas savoir que leur pays avait capitulé et à continuer à faire le pied de grue en attendant l'arrivée de l'ennemi, de la relève, de la quille? Dans le Japon de l'après-guerre, d'après le désastre et une fin de conflit vécue autant comme un soulagement qu'une honte, on alla en rechercher beaucoup calés sur leur île, le doigt crispé sur la détente de leur fusil rouillé. 

Le cinéma s'est un peu inspiré de ces drôles d'oiseaux. Peut-être que Boorman y  a pensé pour son fameux Duel dans le Pacifique  avec ses deux têtes dures ennemies coincées sur une île déserte, et seul Josef von Sternberg en a tiré un grand film avec son magnifique Anatahan, et ses bidasses pouilleux condamnés à survivre en compagnie d'une beauté des Archipels.

Certains sont restés sans nouvelle du Monde pendant des mois, des années. Mais le record revient sans conteste au fameux Hiro Onoda, lieutenant de l'armée régulière formé aux techniques de guérilla (lutter en milieu hostile et sauvage) qui vécut sur l'île de Lubang, dans les Philippines, en pleine brousse... 30 ans durant.

Onoda, 10000 nuits dans la jungle peut donc se permettre d'utiliser ses trois heures de pellicule pour nous raconter son histoire. De facture très classique, Onoda est un authentique film d'aventure qui ravira celles et ceux qui, comme moi, en ont ras la casquette des prouesses numériques de Christopher Nolan et autres Sam Mendes qui confondent rutilance technique et cinéma. Arthur Hariri l'a bien dit quelque part, ce qui l'intéressait avant tout dans l'épopée du personnage, c'était de traiter du temps qui passe, des jours et des nuits qui s'amoncellent, au coeur d'une tension qui ne s'est jamais vraiment éteinte dans l'esprit confus du soldat.


D'abord une dizaine, puis rapidement quatre soldats survivants, les hommes sont avalés par la forêt, empoisonnés par les fruits sauvages, tués par le typhus. Les années où le reste de l'escadron forme une troupe que rien ne semble séparer offrent les plus belles scènes du film: scènes de fraternité, de bagarres, d'attirances sexuelles aussi, de chagrin. Quand le lieutenant Onoda se retrouve seul le temps, comme le film, commence à tirer en longueur. Mais c'est qu'il ne fallait pas non plus achever l'histoire ici, et le personnage, en appuyant sur le champignon, et cette pénible impression de calme qui n'en finit plus après une très longue tempête, sert la cohérence du film.

De l'aventure, il y en aura eu dans les 30 ans de la vie insulaire du lieutenant. C'est que l'île n'était pas tout à fait déserte; ils auront maille à partir avec la communauté de paysans et de pêcheurs à qui ils chapardent des vivres et volent du bétail, croiseront la route d'une jeune femme sans doute demeurée qui sera la cause d'un désastre. Bâtir une cabane de bambou recouverte de feuilles de bananiers avant chaque saison des pluies, combattre la faim, brûler des récoltes pour signaler au Commandement qu'on est toujours là. C'est Robinson Crusoë (qui, si on veut bien s'en souvenir et dans sa version intégrale, est également un roman assez long, et très détaillé).


Onoda fut déclaré officiellement mort à la fin des années 50. Le film nous raconte comment il ne fut pas étranger, non plus, à son propre malheur. Obstinément calé sur des "ordres" contradictoires reçus d'un Major formateur charismatique (c'est le génial Issei Ogata, qui incarnait Iro Hito dans le film de Sokourov et qui, ici aussi, porte la petite moustache taillée au carré et les lunettes rondes de l'empereur), il s'en tint durant ces 30 années à y obéir: ne pas mettre fin à ses jours, et attendre un signe du commandement.

Signe qui ne vint jamais, évidemment, mais un enfermement mental duquel le soldat eu un mal fou à s'échapper. C'est la séquence absurde, et quelque part comique, où il interprète à sa façon un haïku composé par son père, - qu'il croit être, vu de loin, un sosie instrumentalisé par l'ennemi -, et choisit de croire que, lu d'une certaine manière, il signifie qu'il faut à tout prix surveiller la rive sud de l'île.


Quand l' étudiant fanatique d'Histoire le débusque en 1974 en faisant jouer une ritournelle militaire des années 40 dans la forêt, sachant qu'elle fut la chanson préférée d'Onoda, on pense moins à Klaus Kinski-Aguirre faisant jouer du Wagner ou du Bach au coeur de la jungle qu'à un geek, certes enthousiaste et très érudit, qui aurait enfin réussi à mettre la main sur le Pokémon ultime. Dans le monologue à la fois touchant et tordant qu'il déroule à Onoda lors de leur rencontre, il dévoile qu'il avait trois objectifs dans la vie: voir un panda sauvage, trouver Hiro Onoda, et découvrir le Yéti.


Jouer au soldat sur une île, entraîner ses camarades de jeu derrière soi, ne pas écouter les adultes et s'en remettre à une voix divine que personne n'entendra (puisque Dieu, l'Empereur, est mort), c'est un peu le nerf de la guerre du jeu dans l'imaginaire des enfants. Le jeu s'arrête lorsque celui qui vous a cherché longtemps après avoir compté jusqu'à 30 (ans), vous débusque planqué dans votre cabane. Est-ce-que ce n'est pas ça, l'aventure ?

C'est seulement le second long-métrage d'Arthur Harari, après son très bon Diamant noir, polar assez désenchanté et anti-héroïque au possible autour d'un casse chez les diamantaires parisiens. Avec sa manière d'apurer sa mise-en-scène au maximum, de ne jamais négliger les procédés classiques (ici, des flash-backs très bien dosés) et de respecter ses personnages comme le genre qu'il visite (ici le film de guerre, hier le film noir), il fait beaucoup penser à  Jeff Nichols, qui parvient lui aussi à apporter de la fraîcheur à des genres qu'on pourrait croire épuisés depuis longtemps.

Comme cinq ans se sont écoulés entre Diamant noir et Onoda, on espère découvrir la suite de sa carrière dans moins longtemps. Sauf si, comme son héros obstiné, le temps n'est pas un problème.

(A noter également que tous les comédiens, sans exception, sont fabuleux).



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