mercredi 11 août 2021

Benedetta, show-girl d'autrefois.

 


Sacré Verhoeven... Ne nous a-t-il jamais déçu, celui-là, dans la charge anticonformiste, dans l'élan provocateur et le sacrilège ? Le voir emboutir avec pareil panache le popotin de Notre Sainte Mère l'Eglise Catholique, certes dans ce qu'elle a de plus rigide et de plus vieillotte (un couvent dans l'Italie du XVII° siècle), nous fera d'abord penser que le vieux pirate s'attaque là à une icône quelque peu surannée, toute prête à se faire désacraliser par cet iconoclaste acharné. Mais gaffe, car cela n'est pas la première fois que le cinéaste hollandais tourne comme un vieux renard autour d'un poulailler, dans les parages de la foi chrétienne. N'est-il pas l'auteur d'une biographie, Jésus de Nazareth, parue en France en 2015, dans laquelle transparaissait sa fascination pour le personnage, grand galvaniseur de foules, qui fit trembler tout un Empire ?...

Verhoeven n'a pas pu tourner son Jésus comme il le souhaitait, mais il a fallu qu'il tombe sur la vie de cette Benedetta Carlini, un temps à la limite de la béatification avant que certains ne mettent en doute les éclats miraculeux que la jeune femme porta au regard des ses condisciples, avant que ne soit également établie ses penchants amoureux scandaleux.

Il n'allait pas raté ça, alors il y va à bon train: premiers attouchements, premiers ébats, extases enfin libérées, jusqu'à ce gode taillé dans la bonne forme, et à la bonne longueur, dans une statuette en bois de la Vierge Marie. Dans les années 80, les ouailles de Mgr Lefebvre avaient fait cramer un cinéma dans le quartier Saint-Michel pour moins que ça (La dernière tentation du Christ de Scorsese, remember...)


Aussi le mauvais esprit rigolard et complètement agnostique peut bien le dire: je me suis bien fendu la poire. Jusqu'à ces petites touches sales, d'un prosaïque complet, qui finissent toujours par ramener l'Humain et ses aspirations spirituelles au niveau du cochon dans son auge: "J'ai très envie de chier" signale la jolie Soeur Bartholomea à Benedetta pour qu'elle lui montre les "communs" (des trous dans une planche, et de la paille pour le reste), ou encore la servante du nonce de Florence, enceinte, qui signale une montée de lait en faisant gicler une goutte sur la table du repas.

A l'entrée du cinéma, on m'a appris que les gens partaient parfois au bout d'une demi-heure. Mon Dieu, ai-je pensé, qu'ils n'aillent pas voir Titane ! C'est idiot quand même, parce que c'est écrit sur l'affiche: un film de Paul Verhoeven. Peut-être pensaient-ils que, quelques années après Elle, le réalisateur s'était calmé ? C'est bête, parce que les mystères de la foi, si on y regarde bien, n'intéressent pas plus que ça le cinéaste. Il inaugure même cette étrange série  de "miracles" qui marquèrent la vie cloitrée de Benedetta par deux séquences presque ridicules, lorsque, alors petite fille, elle harangue un bandit de grand chemin en lui promettant la colère du Christ, juste avant que le soudard ne se prenne une fiente d'oiseau dans l'oeil, et quand une statue de la Vierge lui tombe dessus, dès son arrivée au cloître. 

Il faut garder ces deux scènes en mémoire pour mieux apprécier ce qui suivra, car les miracles spectaculaires qui vont marquer l'existence de la religieuse, bâtir sa légende et lui faire endosser un temps le poste d'Abbesse aux dépends d'une autre, vont finir par former rien d'autre qu'une fable féroce, et assez enjouée, sur la croyance, l'illusion, le spectacle, la tricherie et l'arrivisme du personnage.


Et nous voilà revenu sur les traces de Nomi Malone dans Showgirls (le film maudit du batave sournois, 25 ans déjà !) qui croyait en son talent, en l'illusion de son corps parfait, à sa gloire dans le show-biz avec des dents étincelantes qui rayaient la piste de danse. Les héroïnes de Verhoeven sont toujours dotées de cette foi incoercible en leur talent et d'une sexualité hyper-agressive qui font d'elles des dangers mortels. Pas seulement pour les hommes, bien souvent réduits à des rôles de pantins (Sharon Stone faisant joujou avec son flic macho, Isabelle Huppert faisant de son violeur sa "chose", Carice van Houten en Mata-Hari chez la Gestapo), mais pour les femmes aussi: l'Abbesse pour le moins circonspecte quant aux stigmates sur le corps de la religieuse (Charlotte Rampling, très bien dans l'unique rôle "mesuré" de cette histoire), finira par payer le prix fort de cette folie.

Amusant, aussi, comment Verhoeven insiste sur la vénalité générale: outre la passion charnelle entre nos deux coquines, c'est le père Cecchi (Olivier Rabourdin) qui, malgré une "cour digne d'une câtin" auprès du pape, n'a pas obtenu le poste voulu. Nombre de soeurs sont d'anciennes prostituées, des filles-mères. Soeur Barthomea était bergère et vivait au milieu de frères et d'un père incestueux. Quand le Nonce de Florence (excellent Lambert Wilson, digne de figurer à la cour des Borgia) se demande si la douceur qu'emploie Benedetta à lui laver les pieds ne lui aurait pas été inculquée dans un bordel, elle lui rétorque en substance qu'il est mieux placé qu'elle pour en juger.


Pourtant, il n'est pas sûr qu'au centre de ce jeu de massacre, il n'y ai pas de foi véritable. Le cinéaste ne met pas en doute la croyance profonde de cette religieuse un peu folle, sûrement (ne lui fait-on pas boire du jus de pavot pour apaiser ses cauchemars ?...) et dont les visions sont sans doute réelles. Ce qui le fascine surtout, en bon metteur-en-scène jaloux de ce barnum christique organisé par l'Eglise Catholique au plus fort de son faste et de son emprise, c'est le spectaculaire, le recours à l'illusionnisme, à la tromperie et au mensonge, l'incroyable sujétion des foules à ces rituels impressionnants à l'ombre écrasante des cathédrales. 

Et Benedetta d'en rajouter dans le son et lumière, toujours plus loin, toujours plus fort: scarifications, paumes percées et vociférations à la mode "Régine", voix d'outre-tombe et visage froncé: Virginie Efira va sans doute mettre du temps à se remettre d'un rôle pareil (dans le sens où d'autres réalisateurs, maintenant, vont devoir lui trouver des rôles de cette démesure).


Peut-être aussi que, comme tous les affabulateurs invétérés, les menteurs impénitents, Benedetta même acculée à reconnaître ces "trucs" niera le mensonge, ne voudra pas voir la vérité, s'enfermera pour toujours dans le déni. C'est peut-être le propre de toute religion (et voilà l'agnostique qui se la ramène, encore...)

Plutôt que de fuir, après avoir évité le bûcher, elle retournera auprès de ses soeurs, même au prix du déshonneur et de la mise au ban. Parce qu'il n'y a que dans l'Eglise qu'elle peut représenter quelque chose, et d'abord à ses propres yeux.

The show must go on, amen.

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