samedi 11 septembre 2021

Bergman Island, poupées suédoises

 

Voilà qui marque un joli sursaut dans la filmo de Mia Hansen-Love après la relative déception de  son précédent opus, Maya, après son très bon L'avenir, avec la Huppert dans un rôle tout fait pour elle, et qui avait l'air de diriger son auteur vers une sorte de cul-de-sac attendu. 

Loin du petit monde germano-pratin, dont elle est issue, composé pour l'essentiel d'intellos en pleine crise, de musiciens, de producteurs de cinéma , de cinéastes et de jeunes filles en fleur, son cinéma semble aller prendre l'air avec ce Bergman Island qui nous parle pourtant, toujours, des difficultés dans le couple, de création artistique (il est cinéaste, elle écrit) et d'amour bien entendu, mais dans un endroit particulier, qu'on imagine fêtiche pour cette ancienne plume des Cahiers du Cinéma; la fameuse île de Farö qui fut le refuge d'Ingmar Bergman, où il tourna bon nombre de ses films et termina ses jours en ermite ombrageux.

D'abord, on craint le méta-film empesé par le poids du mythe, mais Hansen-Love ouvre grand les bras à tout ce que l'île lui propose, sans faire sa précieuse. Si Chris et Tony, en fans du cinéaste suédois, sont venus pour profiter du calme de cette résidence pour travailler,  - mais chacun de son côté -, ils vont aussi se plier aux obligations du lieu: comme faire le "Bergman Safari", journée organisée en car pour faire le tour des endroits où Bergman a tourné ceci, a vécu cela, sans vouloir en faire tout un plat mais émus, malgré eux, par les échos qu'ils y trouvent, en certains lieux comme en eux-mêmes.

Différentes manières de découvrir Farö: pendant que Tony fait son "Bergman safari" en compagnie d'autres intellos pointus, Chris s'offre une journée buissonnière en compagnie d'un grand dadais, étudiant en cinéma à Stockholm, qui lui fait découvrir le cidre local, un magasin de peaux de mouton et le plaisir d'une bataille de méduses sur la plage (se les balancer dans la figure comme des boules de neige).

Aussi, comme Chris demande à son mari si cela ne l'inquiète pas de dormir dans la chambre-même où fut tourné Scènes de la vie conjugale (le film qui, dit-on, provoqua des millions de divorces à travers le monde), c'est autant pour faire une blague que de pour s'inquiéter, quand même, de cet endroit qui inspira autant de films sombres et déprimés au très pessimiste  Bergman. C'est aussi pour confronter leur propre existence, leur expérience de couple, à l'aune de ce que pouvait en penser le réalisateur de Persona, quitte à convoquer son fantôme.

Tony est un cinéaste important, semble-t-il, qui profitera de cette résidence pour présenter ses films au public local. L'île est devenu une sorte de musée à ciel ouvert, y compris la maison du maître, avec sa bibliothèque foisonnante et ses VHS par milliers, gardés en l'état par les gardiens du temple. Mais si beaucoup de monde connait ses films, si l'on peut aujourd'hui encore voir où et comment il vécut, la part d'inconnu est toujours la plus forte: Chris s'étonne de la façon dont Bergman traitait "ses" femmes comme "ses" enfants (mal) et plus d'une fois, les "locaux" ne se feront pas prier pour souligner combien le bonhomme était tout sauf sympathique.

C'est qu'on ne connait jamais vraiment les autres, même les plus proches. Comme il serait illusoire de comprendre la vérité d'un homme en ayant vu et revu tous ses films et avoir tout lu sur lui, Chris voudrait bien savoir sur quoi Tony travaille, lui qui garde ses projets toujours secrets (quand elle fouille dans ses carnets, c'est pour tomber sur des croquis érotiques avec des commentaires étranges), alors qu'elle cherche à partager avec lui ses projets de scénario.

Quand, à la bonne moitié du film, Bergman Island s'échappe dans l'histoire écrite par Chris, et qu'elle raconte à son homme (celle d'un couple qui s'est autrefois follement aimé, et se retrouve sur l'île de Farö à l'occasion du mariage d'une amie), qu'elle lui raconte afin qu'il l'aide à lui trouver un dénouement, c'est non seulement pour accuser une fin de non-recevoir de son époux (partenaire dans la vie, mais concurrent, s'imagine-t-on alors, dans leur vie professionnelle ou pire; indifférent) c'est pour que cette histoire, inventée, qui semble s'imbriquer dans la sienne comme une poupée russe, finisse naturellement par infuser la vie-même, alors qu'elle semblait être inspirée par elle. Un film dans le film qui est aussi le tour de force narratif de Bergman Island, son point de bascule où, tout à coup, tout est dit sur l'acte de créer, et d'inventer des histoires. 

Mia Hansen-Love travaille, dans la dentelle, autant la nature-même d'un couple que le mystère qui entoure tout acte de création. Farö a inspiré Bergman, qui a inspiré nombre de cinéastes, et si Farö inspirera, sans doute, des idées voire un film tout entier à Tony ou à Chris, tout viendra d'eux-mêmes, et de personne d'autre. Bergman est mort, et il ne faut pas croire aux fantômes.


C'est d'ailleurs ce que leur petite fille demande à son père à la toute fin: les fantômes existent-ils, papa ? C'est elle qui a le droit au dernier plan, simple et pourtant singulier après tous ces faux-semblants, ces histoires d'amour compliquées: un enfant qui s'élance dans les bras de sa mère. Tout à coup, ces artistes tourmentés, ces processus de création deviennent secondaires: la plus belle des créations, comme l'amour le plus limpide et le plus sûr, il n'était pas loin, il était juste là, c'était mamie qui la gardait et elle s'appelle June.

La seule limite du film étant son entre-soi précieusement entretenu (un film de cinéphile pour cinéphile, ça ne pouvait pas être autrement), il est dommage que beaucoup passent à côté, et trouvent tout cela, au fond, assez futile. 

Un film magnifique soutenu, - il faut le souligner tant leur sensibilité porte le film du premier plan jusqu'au dernier -, par quatre comédiens absolument parfaits.

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