samedi 7 août 2021

Annette aime les chansonnettes.

 


Pour les cinéphages de ma génération, Leos Carax ce n'est pas rien. C'est avant tout la découverte hallucinée de MAUVAIS SANG en 1986. Et pour bien voir MAUVAIS SANG, c'est comme pour découvrir Rimbaud ou Baudelaire, John Fante, A BOUT DE SOUFFLE ou Nirvana; il faut avoir 20 ans pour ça.

Or, 20 ans on ne les a pas pour indéfiniment. C'est pourquoi, peut-être, au-delà de ses AMANTS DU PONT NEUF (1991), on a pu faillir devant son POLA X (comme tout le monde), et trouver HOLY MOTORS hallucinant sans en avoir bien saisi tous les ressorts (comme tout le monde). La critique opiniâtre l'a toujours chouchouté comme l'oiseau rare qu'il est; ils ont raison de le choyer, tant l'animal a toujours eu l'air de vouloir chercher une énième lettre à l'alphabet du cinéma. On peut aussi penser que le culte dont il est l'objet dans certaines revues est un peu exagéré, et que ça n'est pas en faisant son petit Kubrick germano-pratin (6 longs métrages en plus de 35 ans, c'est pas beaucoup quand même) en mode JLG, que le roi Leos se rendra sympathique à tout le monde.

Kubrick était un richissime auto-entrepreneur libre de ses créations, comme Léos, mais il était tout sauf un grand romantique. Carax lui, l'est de toutes ses forces. Godard a toujours navigué en dehors des eaux internationales sans vouloir rendre de comptes à personnes. Léos lui, veut irriguer ses visions et sa boulimie d'images dans le faste et le grand luxe de la super-production. Par conséquent, ni Kubrick ni Jean-Luc, Carax est peut-être celui qui voudrait être le Cecil B. de Mille du film art et essai. Comme nous le disions, voici donc un fieffé romantique et, plus encore, un incorrigible rêveur.


Ce qui a failli coincer, dans les trente premières minutes d'ANNETTE (passé un générique d'intro merveilleux), ce sont les deux stars archi-bankables que Léos s'est offert. Soit dit en passant, le cinéaste a cherché longtemps son binôme sexy: on a longtemps causé de Rooney Mara, Joaquin Phoenix, Rhianna ou encore Michelle Williams. La Cotillard et Adam Driver finalement, ça a de la gueule au fronton du multiplexe, mais ça coince un peu. Sans vouloir être mauvais esprit à tout prix, on se demande dans quelle pub Chanel ou Dior on a vu l'actrice jouer comme ça. 

Driver, mâchoire serrée et regard noir avec son casque de moto par-dessus, se montre parfois aussi menaçant que dans un mauvais trip jedi. En plus de cela ils chantent, et une comédie musicale, aujourd'hui, il faut que ça fasse son chemin dans la tête du spectateur récalcitrant. Ajoutons à cela que faire jouer au sombre Adam Driver le rôle d'un comique de stand-up est d'une maladresse confuse: il n'y a pas de comédien moins marrant que lui. Aussi, ses prestations scéniques filmées en live jettent d'emblée un trouble gênant. Même si son personnage se montre comme un mix imprécis d'un genre de Gad Elmaleh pour la complicité préfabriquée qu'il entretient avec son public et d'un Andy Kaufman agressif dans son souci d'aller "contre" lui, ce rôle-là, on n'y croit pas une seconde.

Ah oui, pardon: ANNETTE, c'est donc l'histoire d'un humoriste borderline et d'une cantatrice-star qui tombent amoureux, s'épousent, font un gosse (Annette), se déchirent tandis que la carrière de l'un (lui) s'écroule et que la carrière de l'autre (elle) s'envole. Elle meurt dans des circonstances étranges, il fait de sa gosse une star, il commet un meurtre, voilà.

A la demi-heure donc, je me rappelle maintenant, j'ai hésité entre éclater de rire un bon coup ou sortir de la salle pour aller me payer une pinte. C'est en voyant la tête de Driver entre les jolies jambes de Marion, qui chante sa ritournelle romantique avant de plonger vers un cunnilingus ardent, que le film a manqué dérailler pour de bon.


Et puis survient Annette. La nouvelle lettre de l'alphabet du film, c'est elle. L'effet provoqué par cette marionnette bien articulée dans cet univers de breloque est un véritable miracle. D'un coup, si on y chante, ça n'est plus qu'anodin comparé à cette petite chose en bois verni, au regard si triste et très noir, qui ne dit rien mais se met à chanter comme un ange (comme sa maman défunte) à la vue des étoiles et de la lune. Il n'y a plus cette histoire banale et idiote d'un couple people dépareillé qui sombre et se déchire, les saillies pas drôle de papa sur scène, qui se la joue Cioran de music-hall face à un public faussement outré, ni les envolées lyriques de maman en peignoir et perruque rousse dans des décors de patronage en papier, il y a le regard de l'enfant-marionnette, Annette, qui observe le spectacle navrant des passions adultes en fomentant déjà, peut-être, sa vengeance d'enfant.

Il s'en est passé dans la vie d'adulte de Léos pour que, soudain, le romantisme supposé des grands se fasse si ridicule devant la déception des enfants, et que des mélopées sans paroles - les chants d'Annette -, sonnent plus riches de sens que tous ces I love you so much bramés à tue-tête. On croit savoir d'où ça vient, mais on laissera ça à d'autres. Dans la dernière partie, Henry (le père) finit par dérailler pour de bon et Driver nous montre, pour le coup, quel grand comédien il est. Quant à Marion Cotillard, décidément pas gâtée, on tentera d'oublier ses apparitions en banshee avec prothèses moches dans les cauchemars de son veuf.


On ne saura pas ce qui a décidé Carax à oser la comédie musicale, même si ici on croit ferme en une témérité innée chez lui, qui n'est plus à démontrer. On pense que, peut-être, l'exemple kamikaze de Bruno Dumont faisant chanter, faux parfois, Jeanne d'Arc sur du Metal Goth a pu l'aider à franchir le pas. C'est dommage que, dans ses passages les plus mélos ridicules, on songe un peu à l'insupportable DANCER IN THE DARK de ce bon Lars (le seul de lui qui me soit un peu resté au travers de la gorge). 

Quant à la partition des Sparks, également co-auteurs du script, on peut quand même le reconnaître, elle est vraiment chouette.

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