"L'un des meilleurs thrillers que j'ai jamais vus" aurait dit William Friedkin, et l'affirmation figure en bonne place sur l'affiche française de LA LOI DE TEHERAN de Saeed Roustayi. Cela aurait été une citation de Luc Besson que je serais allé m'acheter une crêpe. Voyez comme on peut être bête parfois.
Mais rien à dire, Billy le dingue a le goût sûr, et a du reconnaitre quelque chose de son savoir-faire dans les nombreuses scènes de foule et de course-poursuites qui émaillent ce pur film noir, qui plonge les bras jusqu'aux épaules dans la misère noire de l'Iran d'aujourd'hui.
LA LOI DE TEHERAN est avant tout un film-phénomène là-bas puisqu'il a pulvérisé les records d'entrée. Selon les affirmations du réalisateur lui-même, il ne faut pas croire: le public iranien possède une forte appétence pour les films de genre, et les films sombres qui dénoncent la violence de la société iranienne sont nombreux, et trouvent leur public. Message subliminal envoyé aux cinéphiles européens qui en sont encore à s'émouvoir du port du voile ou des saillies moyen-âgeuses des imams: non, le cinéma de là-bas ne se limite pas aux arabesques de Kiarostami, aux films de taxi où ça blabalate beaucoup, ou aux psychodrames de la classe moyenne de Téhéran vus par Farhadi et ses suiveurs.
Or, après avoir été soufflé par la tenue des scènes d'actions et des mouvements de foule claustrophobiques dans les cellules bondées de Téhéran, et d'accorder haut-la-main le William Friedkin d'Or au chef-opérateur et au monteur de cette boule de nerfs atypique, on se retrouve, à la fois circonspect et très surpris, devant un film qui nous raconte sans ambage que le nombre d'accros à l'opium et au crack dans le pays se compte en millions, et que les lois impitoyables qui conduisent chaque année des centaines de trafiquant à la potence arrivent à peine à freiner cette situation infernale.
LA LOI DE TEHERAN, c'est d'abord des scènes d'une vitesse, d'une précision et d'un spectaculaire si bien orchestré qu'on peine à se rappeler depuis quand on en avait vu de pareilles. Le plus fort étant qu'elles s'inscrivent dans un souci de réalisme qui fait mal: la course éperdue d'un dealer s'achève dans un trou de chantier, des centaines de camés bondissent hors de conduits en bêton laissés à l'abandon et sont parqués ensuite dans de grandes salles, à poil, attendant d'être triés. Roustayi raconte qu'il a tenu à tourner avec de vrais toxicos et cela se voit, cela se sent, même (le juge ouvre la fenêtre et vaporise son bureau après avoir entendu une bande de prévenus). Décidément plus Friedkin que Michael Mann, Roustayi préfère la force du réel au recours aux grandes orgues: les comédiens professionnels qui incarnent les policiers gardent ainsi une attitude hostile, méfiante, pleine de pitié et de dégoût, - se tiennent à distance - ce qui sert à la véracité des grandes scènes qui se déroulent dans cet immense commissariat, avec ses cellules collectives aussi charmantes que des pissotières sans cloison.
Vraiment, on est surpris que la censure iranienne en ai laissé voir autant. Mais dans une société dans laquelle on a le droit d'en faire si peu, il est logique après tout que le couvercle explose quelque part dans des proportions aussi démentes.
LA LOI DE TEHERAN est aussi un film noir incroyablement bavard. C'est son penchant Farhadi: les personnages passent beaucoup de temps à tenter de convaincre leurs adversaires du bien-fondé de leurs actes: le commissaire face au dealer qu'il a enfin attrapé, le caïd face au petit revendeur qui l'a balancé, le flic face à son juge, ce même flic face à son collègue suspecté de corruption, le trafiquant condamné à mort face aux siens, avant son exécution. Autant on est stupéfait face à certaines réactions (la petite frappe déboussolée qui s'aperçoit trop tard que tout ce qu'il a gagné et donné à sa famille grâce au trafic leur sera confisqué après sa mort), autant d'autres psychodrames, comme ceux touchant ce flic dont le gamin a été abattu par les trafiquants, et lui-même soupçonné de corruption, n'en finissent plus d'en finir.
Le film se fait quand même rattraper par sa morale, son moralisme pourrait-on dire. Il aurait pu s'économiser d'une vingtaine de minutes, et continuer à nous montrer le plus simplement du monde, comme dans ces bons trois quarts, le travail ingrat des stups, la misère morale des trafiquants et le malheur innommable de ces cadavres ambulants qui s'amoncellent dans les suburbs de Téhéran.
Six millions de camés, comme le dit ce policier, sur une population de 84 millions, c'est quand même beaucoup.
On ne s'y attendait pas vraiment mais cette année, le polar de l'été n'est pas une histoire de règlement de comptes entre mafieux du New Jersey, ni une embrouille de famille dégénérée au fin fond de la Louisiane, mais un polar iranien "de procédure" à la mauvaise odeur d'aisselle de camé.
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