De Kore-Eda, on connait maintenant la petite musique comme si elle était un peu la nôtre. Bien avant sa Palme d'Or avec Une affaire de famille qui avait mis tout le monde à peu près d'accord, le cinéaste avait déjà sa '"carte" auprès de celles et ceux qui le tenaient pour un des auteurs japonais les plus importants de sa génération avec des films aussi forts et bouleversants que Nobody knows ou encore Still walking. Ce soudain passage en terre sud-coréenne avec un casting et des équipes techniques entièrement étrangères n'est pas une première pour lui, puisqu'il faut se souvenir de La vérité, son film français avec la Deneuve et la Binoche en pâle contrefaçon bobo du Sonate d'automne de Bergman, où il s'essayait à un vrai-faux jeu de miroir entre cinéma et réalité certes pas désagréable, mais dispensable.
Kore-Eda a certainement passé un cap avec Une affaire de famille où il se laissait aller, enfin, à la gaudriole et à la légèreté sans pour autant laisser tomber son appétence, et son brio, pour le mélodrame familial. Les prestations de Lily Franky et Sakura Endo n'y étaient pas étrangères. Cette famille foutraque de bras cassés attachants faisaient enfin voir un Kore-Eda aussi à l'aise avec la comédie qu'avec le dramatique, et sachant parfaitement doser les deux ingrédients. Car la famille reste le grand sujet du cinéma de ce cinéaste qui, au coeur d'une société japonaise guindée et traditionnaliste, a toujours autant de mal à remettre en cause ses piliers.
Tout comme la famille Shibata ramassait des enfants perdus comme on ramasse des chatons mouillés pas encore sevrés, Sang-yeon et Dong-Soo se livrent à un petit trafic assez lucratif mais risqué, puisqu'ils sont dans le viseur de deux policières de la protection des mineurs: ils vendent à des couples fortunés mais stériles des nourrissons que des mamans désoeuvrées abandonnent dans les "baby box" des orphelinats, spécificité toute sud-coréenne.
Si on peut regretter que le dernier quart d'heure n'aille pas plus vite au dénouement, - petit pêché mignon du cinéaste qui sait prendre son temps sur de légers arpèges de guitare -, cette ballade en estafette délabrée, le lardon en bandoulières avec ses imprévus cocasses et ses rabibochages attendus (l'incruste de ce gamin malin comme tout et terriblement attachant qui va mettre de la couleur dans ce road-movie, le début de romance attendue entre la jeune maman et Dong-Soo qui a grandi dans un orphelinat), Les bonnes étoiles emporte le morceau, une fois de plus, par son incroyable humanité, sa bienveillance de tous les instants.
Avec deux petits trucs en plus: un sens de l'humour qui rend les dialogues entre les personnages succulents, et une nouvelle manière de faire se percuter sans prévenir la douceur d'une échappée belle impromptue et des éléments de série noire dont on ne sait trop s'il faut en sourire ou en frémir (les deux policières se posant des questions sur la probité de leur surveillance, la présence furtive des deux petites frappes qui rackettent le magasin de Sang-yeon l'intermède cocasse du contrôle routier par ce flic jovial et sympathique comme tout). Car, pour celles et ceux qui sont attentifs, il se passe quelque chose de très violent dans le dénouement de cette histoire que Kore-Eda évacue au terme d'une ellipse lapidaire plus que gonflée.
Les bougons diront qu'il n'y a rien de bien étonnant là-dedans pour un film de Hirokazu mais ils auront tort: voilà un cinéaste qui évolue à son rythme sans se démettre de ses obsessions (sans compter que son passage dans le polar tordu avec l'excellent The third murder en 2017 lui a peut-être inculqué un art de frapper sans retenue). Sa façon de mêler mélodrame, film policier et fable morale, dans pareil régime de merveilleuse fluidité dont il a le secret est tout de même du grand art.
Tous les comédiens sont fabuleux y compris les gamins, Kore-Eda étant un de ceux qui savent le mieux les diriger devant la caméra, c'est depuis longtemps une certitude.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire