vendredi 11 février 2022

The innocents (les mains vides, la tête pleine)


Oh ! Un film fantastique qui a le droit à son petit tour dans les circuits art & essai, dis donc... C'est assez rare pour être noté, mais pas difficile en l'occurrence à expliquer: non seulement The innocents a décroché quelques prix à Gerardmer, mais c'est à Cannes qu'il a eu le plus de visibilité, naviguant dans le sillage du dernier film de Joaquim Trier dont Eskil Vogt est aussi le scénariste attitré.

Justement, Vogt avait déjà écrit une histoire fantastique que Trier avait réalisé, un film passé assez inaperçu, n'était la notoriété du réalisateur de Julie..., qui faisait alors trempette, histoire de voir, dans les eaux saumâtres d'un fantastique élégant mais traversé de quelques visions poignantes. Il s'agissait de Thelma (2017), film un peu guindé dans lequel une jeune femme finissait par comprendre sa véritable nature ainsi que l'attitude étrange de ses parents à son égard. 

Eskil Vogt aime le genre et possède quelques idées. Quand Thelma était le jouet des tours de son subconscient qui faisait disparaître dans les limbes (pour de vrai) quelques personnes de son entourage qu'elle voulait voir inconsciemment s'en aller, The innocents nous propose une nouvelle variation autour des gamins maléfiques. Le titre est un hommage évident au film de Jack Clayton, lui-même tiré du Tour d'écrou d'Henry James, dans lequel une Deborah Kerr effrayée s'inquiétait de l'attitude de deux enfants dont elle était la préceptrice, gamins persécutés par de terribles apparitions.


Eskil Vogt a inversé le problème, et de persécutés ils deviennent ici, - mais pas tous -, des persécuteurs. C'est l'originalité majeure de ce film qui laisse quand même une légère sensation de déjà-vu, qui fait penser autant au film de Clayton qu'au Village des damnés. C'est un fantastique d'abord discret, qui nous installe au coeur d'une cité encerclée par les bois, où des gamins traînent leur ennui estival en bas des tours. C'est la petite Ida, qui vient de s'installer avec ses parents et sa grande soeur autiste, qui va apprendre à faire quelques connaissances et former un petit groupe avec Ben et Aisha, tous les deux des gamins bien étranges.

C'est de très loin le meilleur du film, de nous inviter à accepter que dans ces barres d'immeubles TOUS les enfants - et par extension tous les enfants du monde - possèdent quelque chose de très particulier. Une idée qui culmine dans un final règlement-de-compte où tous les gosses assistent à l'abri de la surveillance de leurs parents à ce duel à la fois meurtrier et silencieux.

Pour le meilleur, il y a cette précision avec lequel le réalisateur tisse les liens entre les quatre gamins, marquant leurs traits de caractère d'une façon très juste: ce sont les jeux de Ben et Ida, faits de cruauté et d'une perversion toute enfantine, devant lesquels Ida finit par reculer, pas Ben. Ou le splendide rapprochement entre la petite Aïcha et Anna qui, à son contact, retrouve la parole.


Liens télépathiques, chutes de cailloux commandées par la pensée, il est sans doute dommage que Vogt n'ait pas su freiner son idée ainsi que les pouvoirs de ses gosses car si le film finit par ne plus tellement convaincre, c'est lorsqu'il nous fait penser que ces drôles de morveux ne sont rien d'autre que des bébés X-Men, un bête film Marvel de plus.


"Le fantastique, avait défini Tzvetan Todorov, c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connait que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel." On aurait aimé éprouvé cela, or The innocents finit par envoyer l'armada classique du film de super-héros: assassins commandés par l'esprit, os brisés et métal tordu à distance là où il aurait eu plus à gagner à laisser dans le doute les causes de certains phénomènes et le modus operandi de tous ces meurtres. Le plus intéressant sans doute, étant qu'aucun adulte, jamais, ne semble voir ni pouvoir comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe.


Autrement dit, voilà le genre de film qu'on aimerait rebricoler soi-même ici et là, gommer certaines parties et en étendre d'autres. Difficile de faire du neuf avec du vieux mais Eskil Vogt cherche, c'est indéniable, un endroit où aller, un peu plus loin, que tous ces Carpenter, Cronenberg et Argento en voie d'extinction. On l'encourage vraiment, tant on ne voudrait pas que le genre crève sur les dépouilles des Conjuring et consorts qui finissent par dater et sentir le vieux manoir plein de poussière.

Il n'empêche que son film possède quelque chose de plus que la production moyenne dans ce secteur. Cela tient à peu de chose: cette cité HLM calme et verdoyante, ses drôles de panoramiques filmés à l'envers, le bêton en haut le ciel en bas, une scène de meurtre atroce jouant avec quelque ultime tabou, le vitiligo sur le visage de la petite Aïcha ou ses drôles de conversations silencieuses avec Anna. C'est avec ce genre de petits riens qu'on peut imprimer durablement des images dans la tête des spectateurs et ça, Eskil Vogt l'a bien compris. On se gardera donc The innocents, et Eskil Vogt, dans un coin de la tête.


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