samedi 24 juin 2023

L'ODEUR DU VENT, beau travail.

 


Ecrit, réalisé et joué par Hadi Mohaghegh, L'odeur du vent nous donne enfin des nouvelles du cinéma iranien alors que 2022 avait vu sortir du bois un nombre considérable de grands films qui avaient tous pour points communs d'avoir été réalisés en dehors du pays, d'avoir eu de sérieux problèmes avec les autorités, et bien souvent les deux en même temps. Ce film n'a apparemment eu aucun problème avec la censure des mollahs, et son se demande pourquoi il en aurait eu: pour dénoncer l'indigence et le manque de moyens des services publics en milieu rural ? Le sort des handicapés dans ce pays ? Les crétins à turbans n'ont pas eu l'air de tilter cette fois, laissons-les donc le cul sur leurs coussins.

L'odeur du vent est d'abord, peut-être, l'histoire de cet homme aux jambes paralysées qu'on voit ramasser des plantes médicinales à flanc de montagne, dans un dénivelé vertigineux. Vertige qui se transforme en chair de poule glacée lorsqu'on comprend que cet homme avance sur les mains tel un mendiant à la Cour des Miracles, sur des chemins caillouteux qu'il faut prendre pour aller dégoter chez ses voisins quelqu'un qui possède un téléphone par exemple (il y a une panne d'électricité chez lui, il doit y remédier vite car... il s'occupe lui-même de son fils cataleptique).


A ce moment du récit, le film se déporte sur l'ingénieur de la régie d'Etat d'électricité qui va se bagarrer deux jours durant pour rétablir le courant. Ce sera tout le film; suivre les pérégrinations semées d'embûches et de galères qui s'accumulent: récupérer du matériel en état dans un village voisin (Mohaghegh nous filme des endroits et des paysages à couper le souffle), traverser des rivières pas faciles, tomber en panne, s'enliser, tomber sur une habitante suspicieuse, faire un détour pour emmener un villageois à sa promise, s'arrêter pour faire un bouquet de fleurs, s'apercevoir que telle pièce est finalement défectueuse, repartir.

Visage impassible et regard toujours porté sur la prochaine étape à atteindre, Mohaghegh incarne cet homme obstiné sans doute habité par l'importance de sa mission et plus encore, du travail bien fait. Sans en faire des caisses, il faut le voir constater le cadre de vie misérable, quoique parfaitement digne de cet homme diminué qui pourtant gagne sa vie (il fabrique des poudres et des onguents) tout en s'occupant d'un enfant dans un état pire que le sien. De cette constatation, notre ingénieur déjà fort zélé y ajoutera quelques coups de pouce pour lesquels il ne comptera ni son temps, ni son argent.


Que dire de ce grand film "humaniste" dans le sens véritable du terme, si ce n'est qu'il enchante d'abord par sa rigueur filmique qui rappellera tout autant celle de Kaurismäki (sans le versant nihiliste pince-sans-rire) ou du kazakh Yerzanov (sans sa violence fataliste). Un cinéma fait d'obstination qui se refuse à se hausser du col pour sa persévérance et sa bonté, tout comme son personnage,  mais préfère s'occuper des autres.

L'exotisme de L'odeur du vent ne tient pas à la beauté des endroits qu'il nous montre: le cinéma iranien n'a jamais été avare pour nous filmer les splendeurs de son pays, qu'on commence à bien connaitre sans jamais y être allé. C'est la gentillesse et la serviabilité des gens les uns pour les autres qui ici sonne étrangement. Un système humain qui est sans doute le propre d'une certaine ruralité comme nous le suggère les quelques rares moments qui se déroulent en ville: un type qui encaisse sa CB sans mot dire pour lui louer sa caisse pourrie, un pharmacien qui reprend le matelas thérapeutique pour refus de paiement. Les machines acceptent ou refusent, point.


Le grand moment du film est certainement cet instant où la voiture de location de l'ingénieur tombe en panne: c'est la seule fois où on se surprend à rire de cette énième galère, mais l'effet Pierre Richard s'arrêtera là: ce vieux bonhomme sur son âne qui s'arrête pour filer trois coups de clé de 12 dans le moteur, sans plus de merci ni de bonjour qu'il n'en faut, agit comme l'ingénieur à l'égard de ce père, de son fils, ou de ce prétendant aveugle.

Le hasard a fait que le lendemain je voyais le film américain War pony, autre chronique de la misère ordinaire et d'aujourd'hui où on observe cette fois des bons samaritains réclamer 100 billets pour changer une roue, ou négocier un service rendu contre une ristourne sur le prix d'un chien. L'occident en cours de décivilisation, - comme dirait l'autre con -, aurait peut-être tout à gagner à prendre quelques leçons de vie du côté de ces contrées montrées du doigt pour leur inhumanité (d'Etat). 

Fin du cours de morale, et découverte d'un grand cinéaste à suivre de très très près.

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