jeudi 6 avril 2023

LE CAPITAINE VOLKONOGOV S'EST ECHAPPE, vive le sport !



 Tiens, encore un. La censure - qui en a là-dedans - a encore frappé. La Poutinerie n'a pas apprécié cette histoire d'officier fuyant le peloton d'exécution lors de la grande purge ordonnée par Staline en 1938 dans ses propres rangs. Y aurait-il comme un parallèle évident à faire avec ce qui passe là, maintenant, aujourd'hui, sous nos yeux ?

Ce qu'il y a de chouette avec les censures de toutes les époques et de tous les pays, c'est qu'elle nous invite illico à jeter un oeil à l'objet de son courroux et de son rejet. Grand bien nous en a pris car Le capitaine Volkonogov s'est échappé est tout simplement... le meilleur film d'action que j'ai pu voir au cinéma depuis longtemps.


Volkonogov officie donc dans les rangs du NKVD à Leningrad en tant qu'officier zélé au service de l'Union Soviétique. A charge pour lui d'arrêter sur commande quelques bons citoyens, de les interroger selon des "méthodes appropriées", de leur arracher leur signature d'aveux (de trahison, d'espionnage, d'association de factieux en vue d'un coup d'état, peu importe...) et d'envoyer ce tas sanguinolent au fin fond de la Sibérie ou plus simplement vers la cour d'en bas, où "Oncle Misha" exerce son art du tir dans la nuque avec un savoir-faire admiré par tous.

750000 personnes ont été tuées lors de cette période, plus du double condamnés à l'exil, et on sait que cette très belle opération prophylactique s'est achevée par l'exécution de nombre de militaires et de hauts fonctionnaires. Dotés d'un sixième sens qui lui sauvera la vie, notre capitaine s'échappe des bureaux du NKVD, n'attendant pas qu'on appelle son nom à lui aussi, et la course-poursuite commence.


Plus que le côté exaltant d'une véritable chasse à l'homme, filmée dans les règles de l'art, c'est la modernité du décorum qui est ici assez sidérante. Le tandem Merkoulova-Tchoupov emprunte aux jeux vidéo une montée en intensité et en "niveau de difficulté" qui, au sortir de chaque grande scène, nous ferait presque trépigner dans l'attente de ce qui va suivre. Du semblant de refuge trouvé dans les bras de sa fiancée, le bon capitaine se retrouvera à retourner dans l'immeuble du NKVD pour récupérer des documents, puis dans la rue en compagnie de clochards, et s'enferrer au final dans une course folle qui va consister à rendre visite, un par un, à tous les proches d' innocents, fichés, torturés et "purgés" par ses soins.

Chacune de ses rencontres, stressées ou parfois empêchées par l'approche de ses poursuivants, est l'occasion de nous mettre en face de plusieurs variations, toutes plus tragiques et déchirantes les unes que les autres, sur les modes de survie dans une dictature dont on est la victime. Le vieux professeur resté fidèle aux idéaux de la Révolution, la veuve qui n'attend plus rien de personne, le vieil ami à qui l'on apprend qu'on a "interrogé" sa femme, ce gosse qui brûle les affaires de son père sont autant de grandes séquences qui vous mettent de jolies baffes, bien comme il faut.


Meilleur encore, les réalisateurs ont pensé se libérer d'une certaine véracité historique en faisant de ses officiers des golgoths aux crânes rasés qui vouent au système et à leurs propres corps un culte incessant. La petite ambiance homoérotique qui flotte dans les salles d'entraînement où ces malabars transpirent en jouant au volley, se roulent par terre avant de se tartiner la figure de jus de raisin nous fera infléchir un dicton fort célèbre en un "esprit obéissant dans un corps sain" aux arrêts de rigueur. 


Le préposé aux costumes s'est amusé à imaginer cet uniforme du parfait tortionnaire d'état: tenues de survêtement rouge moulantes, gabardines noires en cuir trempé très Hugo "Gestapo" Boss, marcel et cravate rouges bref, un look comme en aurait rêvé un Enki Bilal à la grande époque Partie de chasse: la rencontre tant rêvée, enfin réalisée, du fascisme d'état et des bienfaits du sport.

On torture dans une grande pièce ornée d'un lustre recouverte au sol de paille, comme dans une étable. Un coup de fourche, et le sang comme la merde épongées sont évacuées et au suivant. Le petit instrument de torture préféré du major Golovnya est un masque un gaz dont il suffit de boucher l'embout pour que cela cause. La capitaine Volkonogov... se paie le luxe d'une esthétique steampunk qui a du chauffer les oreilles des zélotes du petit Poutin. Ils ont eu raison, cette fable de survie dans un monde de mort appartient à toutes les époques confondues, et n'a pas à beugler tout haut de quoi elle pourrait être la métaphore pour bien se faire comprendre.


Faute de mieux, le film fait de la fuite en avant de son valeureux capitaine une course vers la rédemption. Petit travers christique qui ne m'est même pas resté en travers de la gorge, tant le besoin de pardon semble naturel, voire vital. A l'inverse, son adjudant traqueur avec lequel il discute au téléphone de temps en temps (un petit côté Tommy Lee Jones/Harrison Ford dans
Le fugitif, autre bon film de genre) se refuse à pareil atermoiements et, même s'il semble lui aussi avancer avec des oeillères qui lui sont tombées des yeux depuis longtemps, attend sa fin sur un pied différent.

Vraiment un très très bon film donc, très mouvementé, très violent, à la morale sulpicienne penseront certains mais qui tient son truc du premier plan jusqu'à la fin. A noter l'excellente prestation de Yuriy Borisov (le petit Russe un peu rustaud de Compartiment n°6), à l'abattage physique impressionnant, celle d'Aleksander Yatsenko en officier clairvoyant et cynique (dans l'excellent Arythmie, c'est lui qui incarnait ce médecin urgentiste alcoolique, hyper compétent et gentil comme tout) et surtout, surtout, la composition extraordinaire de Timofey Tribuntsev en major Golovnya, exécuteur transpirant des basses oeuvres et bourreau sur ordonnance. 

On connait le truc: "plus le méchant est réussi, meilleur sera le film". Celui-là est grandiose.






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